RETRAITÉS

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« L’employabilité durable » au service des personnes travailleuses expérimentées!

Au Québec comme ailleurs dans le monde, les préoccupations et les initiatives pour retarder l’âge de la retraite et prolonger la vie professionnelle se multiplient de la part des organisations de travail et des gouvernements (Alcover et coll., 2021).

La récente montée en flèche de l’inflation affecte de façon significative les taux d’intérêt et le coût de la vie. Cette situation d’instabilité économique et d’insécurité sociale, alliée à des préoccupations de bien-être, de repos et de santé, ainsi qu’à une volonté de rester actives et socialement engagées, peuvent inciter de nombreuses PTÉ (personnes travailleuses expérimentées) à envisager un maintien plus durable sur le marché du travail.

Parallèlement, les difficultés rencontrées par les organisations pour préserver leur offre de services en raison d’un manque important de main-d’œuvre qualifiée ont des incidences sur le bien-être au travail et la santé et des personnes travailleuses qui réfléchissent à la suite de leur parcours professionnel. Tel que le soulignent Heijkants et ses collègues (2023), lorsque les organisations se voient contraintes de répartir les tâches de travail parmi les personnes travailleuses « restantes », cela peut engendrer non seulement des complications dans la gestion des horaires de travail, une hausse des rotations de postes et une supervision altérée et insuffisante, mais surtout une lourde charge cognitive, émotionnelle et physique pour les personnes en poste.

 

 

Défis et perceptions

Autant voit-on dans les PTÉ des ressources professionnelles nécessaires pour assurer la survie économique des organisations, autant les préjugés à leurs endroits persistent. Alcover et coll. (2021) rapportent, à cet effet, certains stéréotypes répandus comme la perception d’une obsolescence des compétences, une moindre propension à s’investir dans la mission et les activités de l’organisation, une résistance plus marquée au changement, un risque accru d’absence du travail pour des raisons de santé et de maladie professionnelle, puis globalement un coût plus élevé pour les organisations. La persistance de tels stéréotypes peut avoir des incidences sur les décisions et les mesures liées aux politiques et aux pratiques en gestion des ressources humaines, notamment en ce qui concerne la limitation des opportunités de carrière, ainsi que la réduction des formes de soutiens organisationnels et de l’accès à la formation (Alcover et coll., 2021).

Identité sociale et âge subjectif

L’identité sociale des PTÉ, plus concrètement leur motivation, leur engagement et leur compétence, est fortement construite à partir du regard de l’autre. Naturellement, on pourrait être enclin à remettre en question une vision globale et homogénéisante « des jeunes », les percevant comme un groupe uniforme avec des attributs, attitudes, comportements, besoins et aspirations professionnelles identiques. Or, ne serait-il pas souhaitable de le faire également à l’égard des « plus vieux »? En fait, il faut savoir distinguer les facteurs liés à la capacité réelle de travail et à l’âge subjectif (Alcover et coll., 2021).  S’intéresser à l’âge subjectif des PTÉ (perception de ses aptitudes, de ses motivations, de son engagement et de ses aspirations professionnelles) permet une approche plus nuancée, individualisée, inclusive et adaptée de l’accompagnement et de la gestion des PTÉ dans une perspective de maintien et de bien-être au travail.

Le concept d’employabilité durable 

L’employabilité durable repose sur la présence de conditions qui permettent aux personnes travailleuses d’apporter une contribution dite « précieuse » (de valeur, pour soi, pour l’organisation, pour la société), tant actuellement que pour l’avenir, à travers l’exercice d’un travail, tout en préservant leur bien-être et leur santé (Van der Klink et coll., 2016). Ces conditions facilitantes sont celles d’une responsabilité partagée entre l’individu, l’organisation (et le syndicat) et l’État. Selon Heijkants et ses collègues (2023), l’employabilité est optimale lorsque des interventions ciblées sont menées, de façon concomitante, sur trois facteurs, soit l’habileté et la fonctionnalité au travail, la vitalité ainsi que l’employabilité (générale).

 

Premier facteur : l’habilité et la fonctionnalité au travail (workability)

Il s’agit de l’état de capacité physique, mentale et sociale nécessaire par la personne travailleuse pour faire face aux exigences de son travail, tout en maintenant un état adéquat de santé et de bien-être physique, mental et fonctionnel. La mise en place de pauses, de séances d’exercice physique, de formations sur l’ergonomie des postes de travail, ainsi que de conseils en matière de gestion de stress et de charge de travail peuvent contribuer à améliorer la capacité des personnes travailleuses à accomplir leurs tâches de manière efficace et efficiente en se concentrant sur leur santé physique, ainsi que sur leurs capacités et leurs conditions d’exercice de leur emploi.

 

Deuxième facteur : la vitalité

Il s’agit de l’expérience d’un état d’énergie, de bien-être et de santé physique se manifestant par de l’enthousiasme et l’engagement au travail. Des actions comme la sensibilisation, l’éducation et la promotion en matière de santé physique et mentale, des ateliers sur l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle, des séances de coaching et de développement personnel, ainsi que des initiatives de valorisation et de reconnaissance de la contribution des employé.es et des activités de renforcement de l’esprit d’équipe peuvent participer à améliorer le bien-être, l’enthousiasme et l’engagement des personnes travailleuses  en catalysant leur énergie et en stimulant leur motivation.

 

Troisième facteur : l’employabilité

Il s’agit de la capacité d’exécuter adéquatement et efficacement les diverses tâches reliées à son travail, tant pour le présent que le futur. Une offre de formations professionnelles adaptée aux intérêts et aux besoins conjoints de l’organisation et de l’individu, des services de counseling de carrière, des séances de mentorat ou de coaching, des activités de réseautage, de mesures de soutien à la reconversion professionnelle (pour évoluer au sein de l’entreprise ou ailleurs à la suite d’une fin d’emploi) peut soutenir le renforcement de l’employabilité des personnes travailleuses sur le plan de l’acquisition de connaissances et de compétences adaptées aux besoins évolutifs du marché du travail.

Les interventions favorables au maintien et au développement de l’employabilité durable

Hazelzet et ses collègues (2019) ont réalisé une revue systématique des connaissances sur les interventions favorables au maintien et au développement de l’employabilité durable, plus particulièrement au regard de la santé, de la productivité, du travail précieux, ainsi que de la perspective à long terme.

Voici des constats rapportés par les différentes recherches analysées : 

 

  • Entreprendre une démarche en trois phases consistant à :
    • Recenser les défis liés au travail et les besoins des personnes;
    • Engager un dialogue entre personnes travailleuses et employeur pour identifier des solutions pertinentes et réalisables;
    • Mettre en œuvre d’un plan d’action et de suivi.

 

  • Réaliser un programme d’identification des personnes présentant un risque de voir leur employabilité durable diminuer :
    • Transmission au personnel d’un questionnaire en ligne portant sur la capacité de travail, le mode de vie et la santé;
    • Discussion des résultats avec des personnes professionnelles compétentes, notamment de la santé, pour proposer au besoin des services-conseils pour les personnes les plus en difficulté.

 

  • Mettre en œuvre des mesures de réduction des heures hebdomadaires de travail et d’exemption de travail de soir et de nuit pour les personnes travailleuses expérimentées dans le but de stimuler leur engagement à moyen et à long terme;

 

  • Lancer un programme chez les personnes employées impliquant d’abord des séances de dialogue et de réflexion sur la valeur de la santé et de la vitalité au travail, de manière à identifier et à mettre en œuvre des activités ciblées comme la marche, la course à pied ou la pratique de sports en équipe sur l’heure du dîner, ou encore des ateliers sur les bonnes postures physiques;

 

  • Organiser des échanges sur les bonnes pratiques en matière d’employabilité durable en commençant par recueillir les avis par un questionnaire en ligne pour ensuite organiser des réunions mensuelles visant le partage d’idées et d’actions favorables.

 

Au travers de différentes revues systématiques (Alcover et coll., 2021; Heijkants et coll., 2023; Hazelzet et coll., 2019), il est possible de constater que les interventions axées sur l’employabilité durable des personnes travailleuses, notamment celles plus expérimentées, présentent des effets notables. Elles peuvent, entre autres, concourir à accroître la productivité, la motivation, le bien-être et la satisfaction au travail ainsi que la santé mentale et physique. Ces interventions contribuent également à l’amélioration des capacités d’adaptation des individus et des organisations face aux exigences changeantes du marché du travail. De plus, elles renforcent la sécurité et la stabilité d’emploi des personnes travailleuses de même que la rétention de personnel des organisations en soutenant l’engagement, l’autonomie et en offrant des occasions de développement professionnel.

  • Louis-Cournoyer

    Louis Cournoyer

    Directeur de la maîtrise en counseling de carrière, Université du Québec à Montréal

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    Lise Lachance

    Professeure titulaire au Département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Références

Alcover, C.-M., Mazzetti, G. et Vignoli, M. (2021). Sustainable employability in the mid and late career: An integrative review. Journal of Work and Organizational Psychology, 37(3), 157-174. https://doi.org/10.5093/jwop2021a16

Hazelzet, E., Picco, E., Houkes, I., Bosma, H. et De Rijk, A. (2019). Effectiveness of interventions to promote sustainable employability: A systematic review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 16(11), Article 1985. https://doi.org/10.3390/ijerph16111985 

Heijkants, C. H., de Wind, A., van Hooff, M. L. M., Geurts, S. A. E. et Boot, C. R. L. (2023). Effectiveness of team and organisational level workplace interventions aimed at improving sustainable employability of aged care staff: A systematic review. Journal of Occupational Rehabilitation, 33(1), 37-60. https://doi.org/10.1007/s10926-022-10064-5 

Lassoued, D. (2017). Du développement des compétences clés en milieu professionnel au concept de « compétences d’employabilité durable ». Thèse de doctorat. Université Rouen Normandie. https://theses.hal.science/tel-01709184

Van der Klink, J. J., Bültmann, U., Burdorf, A., Schaufeli, W. B., Zijlstra, F. R., Abma, F. I., Brouwer, S. et Van der Wilt, G. J. (2016). Sustainable employability—definition, conceptualization, and implications: A perspective based on the capability approach. Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, 71-79. https://doi.org/10.5271/sjweh.3531

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Louis-Cournoyer

Louis Cournoyer

Directeur de la maîtrise en counseling de carrière, Université du Québec à Montréal

Louis Cournoyer est professeur-chercheur en développement et counseling de carrière, ainsi que directeur de la maîtrise en counseling de carrière de l’Université du Québec à Montréal. Ses activités de formation et de recherche portent sur les parcours de vie et les projets personnels d’adultes en transition de carrière, les processus de prise de décision de carrière de jeunes et d’adultes et l’analyse des pratiques de personnes professionnelles en développement de carrière et en orientation. Louis Cournoyer exerce également à titre de conseiller d’orientation et de superviseur clinique.

Louis Cournoyer et Lise Lachance pilotent actuellement le projet de recherche « Parcours de vie, engagements professionnels et projets personnels des personnes de 45 ans et plus ».

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Lise Lachance

Professeure titulaire au Département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Détentrice d’un doctorat en psychologie, Lise Lachance est professeure titulaire au Département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dans la section « Counseling de carrière ». Membre de l’Institut de recherche et d’études féministes (IREF) de l’UQAM et chercheure au Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail (CRIEVAT) de l’Université Laval, ses travaux de recherche portent sur la conciliation des rôles de vie (travail, famille, étude ou proche aidant) et les facteurs qui facilitent ou compromettent les projets personnels ainsi que les parcours scolaires et professionnels. Ils visent à mieux comprendre le processus d’adaptation et de prise de décision des individus dans l’accomplissement de leurs rôles multiples, d’importantes transitions ou d’événements de vie majeurs et à identifier les ressources et les stratégies les plus efficientes pour favoriser leur adaptation en regard de leur contexte.

Louis Cournoyer et Lise Lachance pilotent actuellement le projet de recherche « Parcours de vie, engagements professionnels et projets personnels des personnes de 45 ans et plus ».