RETRAITÉS

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L’âgisme : agir

Cet article est le deuxième d’une série de deux portant sur l’âgisme, de façon générale, puis plus particulièrement sur celui que peut rencontrer des personnes travailleuses expérimentées en contexte de travail. Le premier vise à offrir une compréhension des différentes dimensions et facettes rattachées au concept d’âgisme. Celui-ci se concentre sur des mesures ayant pour but de contrer l’âgisme au sein des organisations et de la société.

 

Selon Caradec (2023), les sociétés contemporaines sont structurellement âgistes, en ce sens que leur mode de fonctionnement et les dynamiques évolutives, changeantes et individualistes sur les plans socioculturel et technologique tendent à éloigner les plus jeunes des plus âgés. L’âgisme, en tant que concept théorique, phénomène sociétal et expérience individuelle, est porteur de pratiques discriminatoires préjudiciables à l’endroit des personnes travailleuses expérimentées, ainsi que de tensions générationnelles en emploi (Bellotti et al., 2023). L’expérience de ces tensions peut avoir des effets de frustration, de ressentiment et de désolidarisation pour les personnes travailleuses expérimentées. Elle peut aussi entraîner une détérioration du bien-être et de la satisfaction globale au travail, ainsi qu’une baisse de la motivation, de l’engagement et de la productivité. Au moment même où les organisations et les institutions publiques cherchent à encourager le maintien en emploi de ces personnes, il apparaît plus que jamais important de se placer en mode solution.

Défendre

Au départ, l’âgisme est un enjeu de justice sociale. Ainsi, la défense des personnes travailleuses expérimentées contre cette expérience apparaît comme le premier lieu où des actions doivent être mises en œuvre. Cela peut être tout autant bénéfique pour la société, car en maintenant les personnes travailleuses expérimentées actives sur le marché du travail, du moins si elles le souhaitent, Watermann et ses collègues (2023) sont d’avis que cela favoriserait une main-d’œuvre enrichie par la diversité et l’expérience. À plus grande échelle, cela pourrait réduire les charges financières liées aux retraites précoces et apporter une réponse aux défis démographiques et à ceux liés à l’allongement de l’espérance de vie (Watermann et al., 2023).

Bergman et Segel-Karpas (2021) proposent, à cet effet, que des interventions soient mises de l’avant afin de réduire les attitudes âgistes sur le marché du travail, sachant que l’âgisme amplifie la relation entre l’anxiété liée au vieillissement et les problèmes de santé mentale. Ainsi, la lutte contre l’âgisme pourrait avoir des effets favorables pour nombre d’individus sur le plan de la santé psychologique, notamment par la diminution des risques d’isolement social et de symptômes dépressifs. À la croisée de la défense, de l’éducation et de la sensibilisation, Bergman et Segel-Karpas (2021) sont d’avis que des programmes et des ateliers éducatifs, en milieu professionnel et dans la communauté, pourraient fournir des informations sur l’anxiété liée au vieillissement, l’âgisme et les stratégies permettant de faire face à ces défis.

De leur côté, Plan et ses collègues (2022) proposent la création d’un mouvement social contre l’âgisme, mobilisant les gouvernements, les organisations de la société civile, les institutions académiques, les entreprises et les individus de tous âges pour changer les discours sur l’âge et le vieillissement. Pour ces personnes autrices, une lutte efficace contre l’âgisme et la création d’une société plus inclusive et respectueuse de la diversité des âges nécessitent l’engagement d’une majorité d’acteurs sociaux. Ultimement, le projet proposé par Plan et ses collègues (2022) serait l’adoption de lois contre la discrimination liée à l’âge et la mise en place d’organismes de contrôle pour veiller au respect de ces lois dans une perspective de promotion de l’égalité des chances.

Enfin, Rennes (2020) rappelle que combattre l’âgisme implique également de s’attaquer à d’autres formes de discrimination, dont le sexisme et le racisme. Cela permettrait aux individus et aux organisations de défendre les droits des personnes âgées et de remettre en question les préjugés liés à l’âge dans diverses sphères de la société (Rennes, 2020).

Éduquer

Comprendre l’âgisme dans le contexte plus large des inégalités sociales peut conduire à des politiques et à des pratiques plus inclusives qui luttent contre la discrimination basée sur l’âge (Rennes, 2020). À cet égard, Bellotti et ses collègues (2023) soulignent l’importance d’encourager la conception et la mise en œuvre de programmes de formation sensibilisant la population, les organisations de travail, l’État, ainsi que tous les autres acteurs sociaux concernés, aux stéréotypes liés à l’âge, aux préjugés inconscients et à la valeur de la diversité des âges sur le lieu de travail. Selon ces personnes auteures, c’est par la remise en question de ses a priori sur les personnes travailleuses expérimentées que l’on peut favoriser une culture de respect envers les individus de tous âges.

D’après Plan et ses collègues (2022), il est crucial de poser des actions de sensibilisation et d’information sur les stéréotypes liés l’âge dès l’école primaire jusqu’à l’université. Il est, de leur avis, essentiel de déconstruire les préjugés et les discriminations dès le plus jeune âge afin de promouvoir une vision positive du vieillissement.

Se questionner

Certains écrits s’adressent directement aux personnes âgées, dont font partie les personnes de travailleuses expérimentées. Bellotti et ses collègues (2023) proposent d’amorcer ce travail par une profonde réflexion personnelle.

Il s’agit ici de prendre le temps de réfléchir à ses pensées, ses attitudes et ses conceptions concernant les différents groupes d’âge. Pour Bellotti et ses collègues (2023), il est possible qu’une part de l’âgisme soit vécue et alimentée par des croyances influençant ses interactions et ses décisions sur le lieu de travail en tant que personne travailleuse expérimentée. On peut, entre autres, penser ici au concept d’autoâgisme, lequel se produit « lorsque des personnes âgées commencent à croire des stéréotypes et des opinions négatives au sujet des personnes âgées et du vieillissement. » (Forum fédéral, provincial et territorial des ministres responsables des aînés, 2022, p. 4). Toujours dans cet élan de confrontation de soi, Bellotti et ses collègues (2023) suggèrent que chaque fois qu’une personne se surprend à formuler des hypothèses basées sur l’âge, elle devrait prendre une pause, puis questionner, voire remettre en question, ses pensées.

Il est également possible d’extrapoler le propos de Bellotti et ses collègues (2023) en invitant la personne travailleuse expérimentée à se soumettre à une confrontation de soi par l’opinion des autres. Plus particulièrement, il s’agirait ici de demander à des collègues de travail et à des personnes superviseures de faire part de perceptions entretenues à son endroit, comme personne travailleuse, au regard de son âge. Cette démarche pourrait permettre de nuancer et d’éclairer l’influence de son âge sur son rapport à soi et aux autres dans un contexte de production de travail.

De retour à soi, Bellotti et ses collègues (2023) invitent à la pratique de l’empathie, consistant à se mettre à la place de ses collègues et de ses personnes superviseures, afin de comprendre leurs expériences, leurs perspectives et leurs défis, et ainsi mieux appréhender et respecter les enjeux propres aux individus selon leurs différentes périodes de vie.

Soutenir

Face à l’âgisme, mais plus particulièrement à l’autoâgisme, les personnes travailleuses expérimentées, qu’elles soient en emploi, en recherche d’emploi ou en démarche de retour au travail, peuvent être amenées à subir un processus de réévaluation de leurs perspectives professionnelles futures. Cette réévaluation implique d’évaluer le temps qu’il leur reste et les opportunités futures sur le marché du travail (Waterman et al., 2023). À cet égard, Watermann et ses collègues (2023) mentionnent que les personnes travailleuses expérimentées, notamment celle en démarche de recherche d’emploi, ont besoin de soutien pour surmonter la discrimination fondée sur l’âge, conserver une vision positive du temps qu’il leur reste et se mobiliser pour saisir les opportunités qui se présentent sur le marché du travail .

Quatre types de soutien peuvent être envisagés à ce sujet. Un premier type consiste à fournir des ressources d’informations et de conseils sur la carrière pour aider à confronter les perceptions d’âgisme sur le marché du travail et soutenir leur insertion et orientation professionnelles (Watermann et al., 2023). Un deuxième type porte sur l’encouragement à la participation à des activités et à l’entretien de relations sociales afin de développer un réseau de soutien. Étant donné le lien entre l’anxiété liée au vieillissement et la solitude, de telles interventions peuvent contribuer à atténuer le sentiment de solitude et à améliorer la santé mentale globale (Bergman et Segel-Karpas, 2021). Comme troisième type de soutien, il est possible d’envisager consulter une ressource professionnelle afin d’adresser et d’intervenir sur ses peurs et ses inquiétudes par rapport à son processus de vieillissement et ses incidences en matière de maintien, de bien-être et de production au travail (Bergman et Segel-Karpas, 2021). Une quatrième forme de soutien est de proposer des options de travail pouvant répondre aux divers besoins et modes de vie des personnes travailleuses de différents groupes d’âge (Bellotti et al., 2023).

Intégrer et collaborer

Les mesures proposées ici concernent des interventions et des initiatives visant l’encouragement d’interactions et de collaborations intergénérationnelles. La recherche d’opportunités de dialogue entre collègues de différents groupes d’âge, au travers d’activités sociales ou de projets de travail, sinon de programmes de mentorat, peut participer à la création d’une culture intergénérationnelle de collaboration (Bellotti et al., 2023; FMFPT, 2022).

De l’avis de Marquet et ses collègues (2016), les contacts intergénérationnels positifs peuvent contribuer à réduire l’âgisme et l’anxiété découlant des comparaisons avec les jeunes, ce qui peut avoir un impact positif sur les performances cognitives des personnes plus âgées. Encourager les interactions et les projets communs entre différentes générations afin de favoriser une compréhension partagée des forces et des ressources de chacun, peut contribuer, entre autres, à réduire les préjugés, à briser les barrières et à promouvoir une culture de respect et d’inclusion (Bellotti et al., 2023; Plan et al., 2022). En ce sens, les organisations de travail, et plus particulièrement leurs services de gestion des ressources humaines, peuvent jouer un rôle crucial dans la création de lieux de travail ouverts à tous les âges et dans la lutte contre la discrimination.

Selon Watermann et ses collègues (2023), c’est en favorisant les initiatives de diversité et d’inclusion qui valorisent les compétences et l’expérience des personnes travailleuses âgées que les organisations de travail pourront mieux retenir des talents précieux, bénéficier des connaissances et de l’expertise qu’elles apportent.

Évaluer

L’évaluation dont il est question dans les écrits recensés est celle de personnes professionnelles de la santé.

À ce propos, Marquet et ses collègues (2016) soulignent l’importance de sensibiliser les personnes professionnelles de la santé physique et de la santé mentale à l’impact des stéréotypes âgistes sur les évaluations cognitives des personnes âgées, afin d’éviter une surpsychologisation des difficultés et conséquemment, les effets de l’âge sur les capacités de performance des personnes travailleuses plus âgées. Pour ces personnes auteures, il importe de prendre en compte les perceptions et les possibles stéréotypes liés à l’âge dans l’évaluation des capacités cognitives des personnes plus âgées, de même que les influences psychosociales et contextuelles de la personne, afin d’assurer des évaluations non discriminatoires envers cette population. De plus, elles recommandent de considérer les perceptions de soi entretenues par les personnes plus âgées afin de les aider à remettre en question les stéréotypes qu’elles pourraient avoir intériorisés (autoâgisme), favorisant ainsi l’adoption d’une vision plus positive de leurs capacités (Bergman et Segel-Karpas, 2021; Marquet et al., 2016).

Valoriser, promouvoir et reconnaître

Comment mieux reconnaître les réalisations, les compétences et l’expertise des personnes de tous les âges, afin de créer une culture organisationnelle d’appréciation et de valorisation de la diversité ?

Telle est la question et l’invitation que Bellotti et ses collègues (2023) adressent aux organisations, ainsi qu’à tous les acteurs concernés par l’inclusion sociale et professionnelle des personnes travailleuses expérimentées. Ces personnes auteures font également ressortir l’importance de la promotion et de la valorisation d’opportunités de développement de leadership intergénérationnel qui favorisent le mentorat, le transfert de connaissances et le développement des compétences entre les groupes d’âge.

Pour leur part, Marquet et ses collègues (2016) soutiennent que des actions constructives de la sorte peuvent encourager une vision plus positive du vieillissement et favoriser de meilleures performances.

Rechercher … plus et mieux

Cette dernière piste de solution s’adresse à la communauté scientifique.

Dans un premier temps, Plan et ses collègues (2022) encouragent le développement d’une meilleure compréhension de l’âgisme, de ses impacts et de ses déterminants à travers des recherches approfondies. Pour ces personnes auteures, l’apport de données fiables est essentiel pour concevoir des stratégies efficaces de lutte contre l’âgisme. De leur côté, Bergman et Segel-Karpas (2021) indiquent que des études longitudinales, c’est-à-dire impliquant l’observation ou la collecte de données auprès d’un même groupe de personnes sur une période prolongée, pourraient aider à mieux suivre et comprendre la progression de l’anxiété liée au vieillissement et ses effets sur la santé mentale au fil du temps. Ces personnes auteures jugent qu’en ayant accès à des résultats sur les expériences des individus dans le temps que les personnes professionnelles seront en mesure d’adapter leurs interventions et leurs services de soutien en fonction des besoins évolutifs et changeants (Berman et Segel-Karpas, 2021).

  • Louis-Cournoyer

    Louis Cournoyer

    Directeur de la maîtrise en counseling de carrière, Université du Québec à Montréal

  • Lachance_L

    Lise Lachance

    Professeure titulaire au Département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Références

Bellotti, L., Zaniboni, S., Balducci, C. et Toderi, S. (2023). Can I work with older workers if I hold stereotypes regarding their competence? The consequences for stereotype holders. Canadian Journal of Behavioural Science. https://doi.org/10.1037/cbs0000396

Bergman, Y. S. et Segel-Karpas, D. (2021). Aging anxiety, loneliness, and depressive symptoms among middle-aged adults: The moderating role of ageism. Journal of Affective Disorders, 290, 89-92. https://doi.org/10.1016/j.jad.2021.04.077 

Caradec, V. (2023). L’âgisme anti-vieux en pratiques. Petit essai de typologie. Traits-d’Union, la revue des jeunes chercheurs de Paris 3, 12, 82-92. https://shs.hal.science/halshs-04342363

Forum des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux du Canada. (2022). Contrer les répercussions sociales et économiques dues à l’âgisme au Canada. Guide de discussion sur l’âgisme. Gouvernement du Canada. https://www.canada.ca/content/dam/canada/employment-social-development/corporate/seniors/forum/consultation-ageism/ageism-discussion-guide-fr.pdf

Marquet, M., Missotten, P. et Adam, S. (2016). Âgisme et surestimation des difficultés cognitives des personnes âgées: une revue de la question. Gériatrie et psychologie neuropsychiatrie du vieillissement, 14(2), 177-186.

Plan, O., Zekopoulos, K., Dancourt, S. et Raoult, N. (2022). L’âgisme. Pour242(1), 61-72. https://doi.org/10.3917/pour.242.0061

Rennes, J. (2020). Conceptualizing ageism in parallel to sexism and racism. The heuristic value and limitations of a common analytical framework. Revue française de science politique70(6), 725-745.

Watermann, H., Fasbender, U. et Klehe, U. C. (2023). Withdrawing from job search: The effect of age discrimination on occupational future time perspective, career exploration, and retirement intentions. Acta Psychologica, 234, 103875. https://doi.org/10.1016/j.actpsy.2023.103875 

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Louis-Cournoyer

Louis Cournoyer

Directeur de la maîtrise en counseling de carrière, Université du Québec à Montréal

Louis Cournoyer est professeur-chercheur en développement et counseling de carrière, ainsi que directeur de la maîtrise en counseling de carrière de l’Université du Québec à Montréal. Ses activités de formation et de recherche portent sur les parcours de vie et les projets personnels d’adultes en transition de carrière, les processus de prise de décision de carrière de jeunes et d’adultes et l’analyse des pratiques de personnes professionnelles en développement de carrière et en orientation. Louis Cournoyer exerce également à titre de conseiller d’orientation et de superviseur clinique.

Louis Cournoyer et Lise Lachance pilotent actuellement le projet de recherche « Parcours de vie, engagements professionnels et projets personnels des personnes de 45 ans et plus ».

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Lise Lachance

Professeure titulaire au Département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Détentrice d’un doctorat en psychologie, Lise Lachance est professeure titulaire au Département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dans la section « Counseling de carrière ». Membre de l’Institut de recherche et d’études féministes (IREF) de l’UQAM et chercheure au Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail (CRIEVAT) de l’Université Laval, ses travaux de recherche portent sur la conciliation des rôles de vie (travail, famille, étude ou proche aidant) et les facteurs qui facilitent ou compromettent les projets personnels ainsi que les parcours scolaires et professionnels. Ils visent à mieux comprendre le processus d’adaptation et de prise de décision des individus dans l’accomplissement de leurs rôles multiples, d’importantes transitions ou d’événements de vie majeurs et à identifier les ressources et les stratégies les plus efficientes pour favoriser leur adaptation en regard de leur contexte.

Louis Cournoyer et Lise Lachance pilotent actuellement le projet de recherche « Parcours de vie, engagements professionnels et projets personnels des personnes de 45 ans et plus ».